Analyse du secteur pétrolier et conséquences financières
Le 10 avril dernier, KMH Gestion Privée, a eu le plaisir d’interviewer Jean-Baptiste COULM, gérant du fonds ARC SKYLINER®. Pour rappel, KMH Gestion Privée, située à Lyon, est une société de conseil en gestion de patrimoine qui fait partie de notre groupe Hubsys.
Voici un résumé de cette interview, qui est une analyse du secteur pétrolier et de ses conséquences financières.
Pourquoi les marchés ne sont pas parvenus à prendre un rebond sur la baisse historique de la consommation ? Qu’est-ce que cela implique à moyen et long terme ?
La production mondiale est d’à peu près 100 millions de barils par jour. La baisse proposée d’une dizaine de millions de barils permet de réduire cette offre à 90 millions par jour. Or, la demande, qui était également d’environ 100 millions est passée aux alentours de 70 millions par jour actuellement.
Cette chute est due essentiellement à la baisse d’utilisation de gazoline (essences et diesel), utilisé pour les véhicules et de kérosène, utilisé pour les avions. En effet, Les avions volent beaucoup moins et donc cela engendre une baisse d’environ 30 millions de barils par jour en termes de consommation.
Cela veut dire qu’à l’heure actuelle, on a 20 millions de barils en trop par jour et qu’il va falloir les stocker. Malheureusement, les places de stockages sont relativement limitées et les capacités sont pleines. Dans les prochaines semaines, il n’y aura donc plus de place pour les stocker, ce qui engendrerait la poursuite de la baisse de pétrole. Si vous avez une offre qui est supérieure à la demande, mécaniquement, le prix baisse.
Que se passe-t-il une fois qu’on a plus la capacité de stocker ?
Beaucoup de puits sont assez anciens et il est difficile de les redémarrer. Une fermeture demande du temps et cela coûte beaucoup d’argent. Les sociétés de production de pétrole n’ont pas forcément envie d’utiliser cette solution. Malheureusement, elles risquent tout de même d’y être obligé, car il n’y aura plus d’espaces de stockage.
Fabriquer des entrepôts de stockage pour 20 millions de barils par jour paraît, à l’échelle mondiale, compliqué, car cela mettrait des mois voire des années à être mis en œuvre.
Dans tous les cas, il y aura une pression baissière sur le prix du baril. Pour le moment, les entreprises préfèrent produire à perte pour éviter de fermer leurs puits. Mais, au bout d’un certain temps, elles vont être obligées de les fermer si le prix descend trop bas durablement. Aux Etats-Unis par exemple, les productions de gaz de schiste vont toutes s’arrêter.
Un nouveau choc pétrolier ?
Si la production passe de 90 millions de barils par jour à 80 millions (dû à la fermeture de puits) et que la demande revient à son niveau quasiment initial, on va se retrouver dans un premier temps à pouvoir répondre à la demande parce que l’on va déstocker. Or, dans un second temps, si les puits ne peuvent pas rouvrir ou n’atteignent pas leur capacité de production d’avant crise, nous risquons d’avoir un souci d’offre. Les prix du pétrole risquent donc de remonter violemment.
Quelles sont les secteurs qui pourraient connaître un rebond ?
Il y a plusieurs réponses à cette question. En terme sectoriel, ceux qui vont probablement bénéficier de la crise actuelle sont les secteurs de la santé et du digital. A savoir, tout ce que nous utilisons aujourd’hui (les ordinateurs, les téléphones, les connexions internet, la télévision, Netflix, les jeux vidéo …). Ces secteurs fonctionnent relativement bien et vont probablement connaître une croissance plus importante dans les semaines à venir.
Le secteur de l’énergie a été particulièrement impacté ainsi que le secteur des banques, qui est très lié au secteur de l’énergie. Comme en 2015 et 2016, les banques avaient énormément chuté parce que le pétrole baissait et que les valeurs pétrolières avaient contracté des prêts auprès des banques. On estimait qu’il était probable que ces entreprises fassent faillite et ne puissent jamais rembourser les banques, et donc impacteraient les comptes de résultat des banques. C’est pour cela que les banques baissent fortement depuis 1 mois et demi maintenant.
Quand on aura un retour « à la normale » de l’activité, ce sont ces secteurs-là qui rebondiront le plus rapidement. A l’heure actuelle, il est probable qu’il faille privilégier le secteur de la santé. C’est un secteur plutôt défensif et il devrait connaître des investissements massifs dans les prochaines années.
Comment le fonds ARC SKYLINER®est-il organisé pour faire face aux incertitudes quotidiennes ?
Il est difficile de tirer des perspectives sur quelque chose qu’on ne connaît pas. Dans un premier temps, on a réduit la poche actions, pour réduire la volatilité du fonds. Cela a permis de limiter la baisse au début de la crise. On a ensuite réduit notre investissement en actions, qui tourne aujourd’hui aux alentours de 25% et qui a vocation à rester dans cette zone-là, tant qu’on n’en saura pas plus sur le déconfinement et sur les perspectives économiques. Et nous avons, à côté de cela, une poche stable avec des fonds alternatifs, qui permettent de progresser dans n’importe quelle situation de marchés.
Pourquoi ne fait-on pas un moratoire pour les dettes de tous les Etats ?
C’est une bonne idée, mais il est impossible de supprimer la dette de tous les Etats, sachant que les montants en jeu ne sont pas les mêmes. L’argent prêté à certains pays africains ne représente pas des sommes astronomiques par rapport au montant de dettes des pays de l’OCDE. Effacer la dette reviendrait à supprimer la parité de pouvoir d’achat entre les monnaies. C’est absolument impensable aujourd’hui.
N’y a-t-il pas une autre problématique dans le fait de supprimer la dette nationale ?
Les épargnants demandent depuis toujours des placements à capitaux garantis, notamment le fonds euros dans un contrat d’assurance-vie, un livret A, un livret d’épargne…. Dans ce type de produit-là, on est massivement créancier des Etats de l’Union Européenne. Finalement, supprimer la dette de l’Etat reviendrait à supprimer la valeur de l’épargne garantie en capital.
Une partie de la dette française est détenue par les épargnants au travers des fonds euros. Et une autre partie de la dette est auto-détenue. Si on supprime la charge de l’Etat français, ça reviendrait à flouer la totalité des épargnants.
Politiquement, n’est-il pas intéressant de remettre l’ISF ?
Cela pourrait peut-être être politiquement intéressant. Mais je ne suis pas certain que ce soit la principale préoccupation d’Emmanuel Macron. Je ne pense donc pas que le sujet revienne sur la table, d’autant plus que l’ISF vient d’être supprimé. Il n’y a pour moi pas d’intérêt à remettre en place cet impôt-là. Il y aura d’autres possibilités pour rembourser cette dette, en indexant la taxe foncière sur la valeur du bien comme au Royaume-Uni par exemple.
Une dette qui dépasse les 100% du PIB est-elle problématique ?
Pour pouvoir rembourser la charge de la dette, il faut avoir une croissance qui soit supérieure au taux d’intérêt auquel l’Etat a emprunté. Aujoud’hui, comme les taux d’intérêts sont à zéro, la question ne se pose pas. Mais, elle se posera le jour où ces taux d’intérêts remonteront.
Je ne pense pas qu’une dette qui dépasse les 100% du PIB soit grave, d’autant plus si tous les Etats font la même chose. Normalement, la variable d’ajustement est votre monnaie de référence. Si en Europe, aux Etats-Unis et au Japon, tous les Etats augmentent leur dette en même temps, en réalité, il n’y aura pas de variations sur le change. Ce ne sera donc pas très grave.
Par contre, le risque qu’il peut y avoir par la suite si vous augmentez la dette fortement, c’est de vous retrouver avec une transmission de cette dette vers les entreprises, les particuliers et les générations futures, en termes d’investissement. Donc de vous retrouver avec une inflation qui repart très vite, si ce n’est pas contrôlé.
Conclusion
Le risque à terme, finalement, est inflationniste et donc de l’érosion de l’épargne pour les investisseurs trop prudent. Il vaudrait mieux aller vers les actions plutôt que vers du taux de garantie. Ce que l’on vit aujourd’hui est plutôt déflationniste, car la consommation est en berne. Si l’inflation repart fort, la banque centrale européenne, et même toutes les banques centrales seront obligées de faire le nécessaire pour éviter que l’on ait une inflation qui galope.